École publique de Saint-Didier-sous-Riverie

La vie

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Anne Guion

 

Ils débattent comme des grands, savent écouter mieux que les grands. Et votent en conscience...

Reportage à Saint-Didier-sous-Riverie (69), dans une école où les enfants ne comptent pas pour du beurre...

 

 

 

 

photos de M. Muratet

Citoyens en herbe

C'est un petit radis, tout fin, avec deux grandes feuilles. Pas grand-chose à manger. « C'est pour toi... » Casquette sur la tête et boucles d'ange, Dorian, 7 ans, distribue sa récolte. 9 h 30, une vingtaine d'enfants bêchent, binent, désherbent et arrosent le potager derrière leur école. Et voilà que notre généreux jardinier se fait enguirlander par Ludovic, son copain : « Mais non ! On avait dit que l'on arrachait pas les légumes avant d'en avoir discuté avec les autres ! » Mine renfrognée de Dorian. Ludovic insiste. On s'attend à des cris et des pleurs. Mais l'orage passe tranquillement... Avec deux ou trois mots d'explication et une conclusion de Ludovic : « Allez, c'est pas un drame... » Drôle d'école où les enfants parlent au lieu de se chamailler. C'est l'école publique de Saint-Didier-sous-Riverie, un village de 1 000 habitants, niché sur le flanc  d'une colline de la campagne lyonnaise. 70 élèves répartis en trois cycles, de la maternelle au CM2. Pas de notes, mais un système de récompenses utilisant des ceintures de judo, et, surtout, un apprentissage de la démocratie, au jour le jour. À l'origine de tout cela, Rémi Castérès, le directeur, qui fut lui-même ancien premier de la classe et chouchou de ses profs. Et pourtant, de son passage à l'école, il ne se souvient que des crampes au ventre les jours de contrôles et de la discipline de fer qui bâillonnait les enfants. À Saint-Didier, les enfants parlent, énormément. Pour dire ce qu'ils pensent, pour dire qu'ils sont d'accord ou pas d'accord, qu'ils ont aimé ou détesté... Bref, pour s'exprimer. Comme Dorian : « Avant, je me serais battu avec Ludovic. Maintenant, je fais tout pour plaire à mon amoureuse qui n'aime pas les garçons bagarreurs. » Qui est son amoureuse ? Chut... Dorian chuchote maintenant : « Il ne faut pas le dire... Dans le règlement, c'est écrit : "On ne dit pas de qui on est amoureux". » Ah bon...

10 h 30. Dans la classe du cycle 2 (grande section, CP, CE1), Mélissa sort d'une boîte à chaussures des petits papiers un peu froissés. Cette petite fille coquette est la star du moment. Son rôle .? Secrétaire du conseil de coopérative, une réunion hebdomadaire où sont examinés les doléances de élèves, l'agenda de la classe... À l'ordre du jour : l'organisation de la fête du jardin (qui se chargera de quoi ?), les changements de place... Et des points plus délicats, comme : « J'en ai assez que Marek me fasse toujours des bisous. Signé Marine. » Les bras se lèvent à toute vitesse. C'est Corinne, la maîtresse, qui distribue la parole. Les enfants discutent "bisous", font des propositions et votent. Mélissa inscrira un nouveau point au règlement, entièrement discuté par les élèves : « On ne peut pas faire de bisous si la personne n'est pas d'accord. » Le Marek en question, petit bonhomme à lunettes rouges, n'a pas pipé mot pendant le débat. Fâché ? « Ce sont des discussions à froid, explique Corinne. Marine était énervée quand elle a écrit le mot, mais elle a eu le temps de réfléchir, et il faut aussi que Marek comprenne que son comportement peut être gênant. » D'ailleurs, les deux semblent déjà avoir oublié leur désaccord... Attention, tout n'est pas sujet à discussion. Aller dans la cave, où il y a des outils et la chaudière, c'est interdit, un point, c'est tout. Cela, c'est Corinne qui le dit. Les mains se lèvent. « Pourquoi c'est dangereux ? » « Elle est où, la cave ? » Corinne répète : « Pas de discussion. » Fannette a l'air inquiète. Elle n'a pas bien compris : « Ça veut dire qu'on ne peut plus faire de bisous ? »

Dans la pièce à côté, Paul rassemble ses élèves. Il est grand, très grand. Eux sont si petits. C'est la classe du cycle 1 (maternelle et petite section). C'est ici que tout commence. Ils ont de 3 à 6 ans et apprennent en direct la démocratie. Sur les murs, des panneaux énoncent les règles en usage pour le bac à sable, en forme de petits dessins. Ne pas jeter du sable, ne pas se pousser. Cela paraît tout bête. C'est le résultat d'une année de travail. « Toutes ces règles proviennent uniquement des enfants, explique Paul. Il a fallu que les problèmes se posent, puis, ensemble, nous avons défini ce qu'il ne fallait pas faire. » C'est long, très long. Parfois décourageant pour Paul, qui, dans ces moments-là, va faire un petit tour dans la classe de Rémi, en cycle 3 (CE2, CM1, CM2)... Pour voir ce que vont donner ses semis quelques années plus tard. Une grande pièce lumineuse, des bureaux placés en U. « Comme à la mairie à l'heure du conseil municipal, plaisante Rémi. Pour pouvoir débattre... » Et ici, ça discute sec... Pour ceux qui arrivent en cours de scolarité, pas facile de s'adapter à cette école où l'on peut circuler dans la classe sans demander la permission, parler de ce qu'on a fait la veille et surtout reprendre le professeur quand il a fait une erreur... Comme Kévin, 9 ans, arrivé à la rentrée dernière, après de multiples déménagements et quelques problèmes de discipline. « Dans mon ancienne école, la première fois que j'ai vu le directeur, il m'a engueulé parce que j'avais touché à des choses sur son bureau.. » Aujourd'hui, Kévin est le président du conseil de coopérative du cycle 3. Avec application et méthode, il distribue la parole, inscrit les propositions au tableau, compte les doigts levés.

Malgré le succès de cette pédagogie - les enfants apprennent vite et sont heureux de venir à l'école -, quelques parents ont décidé de ne pas y laisser leur progéniture. « C'est une école de la transparence, explique Rémi. Les enfants racontent énormément leurs expériences en famille. Ceux qui rencontrent des difficultés à la maison ne supportent pas toujours la différence. » Il y a aussi cette crainte que les enfants ne soient pas dans la norme scolaire. « Pourtant, se défend Rémi, je n'ai rien inventé : l'expression orale, c'est dans les programmes, l'apprentissage de la citoyenneté, aussi... Quant à la peur que les élèves ne soient pas prêts pour le collège, elle est sans fondement : nous leur offrons bien plus qu'un simple savoir une façon d'être au monde, le respect de l'autre... »

Rémi pointe un doigt vers son bureau. « Regardez ! » Sur la table encombrée, un petit pot à crayons est rempli de billets et de pièces. Au total, 50 €. L'argent de la coopérative. La cagnotte de la classe. « Cela fait quinze jours qu'elle traîne ici, il n'y a jamais eu de vol. Et pourtant, les enfants ne sont pas riches. » L'argent sur le bureau, c'est la grande fierté de Rémi Castérès. Preuve qu'il suffit d'un peu d'écoute, de beaucoup de respect, arrosé de liberté... Et les enfants de Saint-Didier poussent bien droit.

Anne Guion


Ils binent, désherbent et arrosent le potager avec bonheur. À Saint-Didier, 64 petits et grands mettent la main à la pâte, avant de discuter des règles de vie commune.

 

 


Ici, un système de récompense original : des ceintures de couleur selon le niveau, comme au judo. Par ailleurs, les enseignants de Saint-Didier, adeptes des groupes Balint, confrontent régulièrement leurs expériences sous la houlette d'un psy.

 

 


Un enseignement réussi exige de l'institution qu'elle soit conforme à ce qu'elle veut enseigner.

 

 


Vivre ensemble, s'écouter, maîtriser la violence que chacun porte en soi, cela s'apprend dès la maternelle. Ici, à l'école publique de Saint-Didier-sous-Riverie.

 

 


À l'école de Saint-Didier-sous-Riverie (69), des bureaux placés en U, "comme à la mairie à l'heure du conseil municipal".

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