École publique de Saint-Didier-sous-Riverie

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Maryline Baumard

 

 

Dans la classe

qui abolit

les notes

 

Loin d’être une récompense, un bon point déguisé, c’est une marque de confiance, la reconnaissance du sérieux de l’enfant. Et si momentanément rien ne va plus, on perd les droits acquis.

Comme les judokas, les élèves de la classe de Rémi Castérès, à Saint-Didier-sous-Riverie, passent régulièrement des «ceintures». De la blanche (virtuelle) à la verte (en tissu), ils progressent, chacun à son rythme, avec plaisir et motivation.

Classe de cycle 3, Saint-Didier-sous-Riverie, petit îlot urbain à quarante kilomètres de Lyon (Rhône). C'est l'attente. Comme tous les quinze jours, le maître va décerner les ceintures de comportement. A l'image de celles des judokas, chaque passage d'une couleur à une autre sanctionne un cheminement, une maîtrise supplémentaire de soi. Tout détenteur de la ceinture blanche, la première, connaît le règlement de sa classe, sait ranger correctement ses affaires après les activités, classer ses fiches et jeter ses papiers dans la corbeille. Celui qui postule pour la jaune, juste au-dessus, doit savoir ranger le matériel collectif et en prendre soin; il doit aussi terminer son travail en temps voulu. « Un enfant qui souhaite une couleur me formule sa demande. Je l'examine à la lumière de mes observations et décide en motivant mon verdict. L'enfant a bien sûr tout à fait le droit de contester ma décision en argumentant à son tour », commente Rémi Castérès, 51 ans, le maître de cette classe qui comporte trois niveaux (CE2, CM1, CM2).

Pour l’élève, l’enjeu est de taille car chaque changement de ceinture lui ouvre des droits nouveaux, lui permet de conquérir des libertés. Ainsi la ceinture jaune autorise-t-elle à utiliser sans le maître la salle polyvalente ou le bureau du directeur. La ceinture orange lui offre la faculté de circuler librement dans l’école et même de rester en classe pendant la récréation, s'il le souhaite. Loin d'être une récompense, un bon point déguisé, c'est une marque de confiance, la reconnaissance du sérieux de l'enfant. Et si momentanément rien ne va plus, on perd les droits acquis (dans d'autres classes, ils sont seulement suspendus). Ce mardi-là, justement, Océane prend la parole à l'issue des remises et avoue son regret d'avoir perdu sa ceinture orange pour avoir crié dans la classe. La fillette en profite pour demander de l'aide. A l'avenir, le maître lui signalera si son comportement dérape. « Pour l'enfant c'est une aide énorme, car pris dans l'action il n'a pas immédiatement conscience de ce qu'il est en train de faire. Le fait que je le lui rappelle calmement, mais à chaud, l'aide à modifier son comportement », rappelle Rémi Castérès. Pas de soucis pour Océane, l'expérience montre qu'une ceinture perdue se reconquiert rapidement.

 

« Que veut dire un 11,5 en maths ? »

A Saint-Didier-sous-Riverie, la progression dans les disciplines scolaires se mesure aussi en changement de couleur. Des ceintures qu'on ne peut jamais perdre, mais qui n'ouvrent pas de droits supplémentaires. Des mathématiques à l'expression orale en passant par la grammaire ou l'expression écrite, on progresse partout en changeant de ceinture.

Rémi Castérès a monté ce dispositif il y a quinze ans pour en finir avec la tyrannie des notes. « Je ne pouvais me résoudre à voir les apprentissages vidés de leur sens à force d'être réduits à des notes. Que veut dire un 11,5 en maths ? Pour me lancer, il m'a fallu élaborer dans chaque discipline des tableaux de compétences correspondant aux différentes ceintures et englobant tout le programme du cycle. » Un travail de titan à recommencer avec l'arrivée des nouveaux programmes. Tant pis. Il s'y lancerait à nouveau si c'était à refaire, et ce d'autant que les enfants plébiscitent la formule. Les ceintures ont l'avantage de la clarté, pour les élèves comme pour les parents. Fini l'implicite de ce qu'attend le maître. En début d'année, Rémi Castérès remet à chaque élève les grilles des huit disciplines avec les compétences attendues dans chacune d'entre elles et l'équivalent ceinture. Ainsi, un élève devient ceinture verte de lecture (après avoir été blanc, jaune et orange) lorsqu'il sait identifier les mots absurdes d'un texte, qu'il sait si une histoire est imaginaire ou réelle et qu'il peut lire un dialogue avec des partenaires. Pour la marron, deux crans après la verte, il doit être capable de trouver un numéro de téléphone dans un annuaire, de répondre à des questions difficiles à l'aide de documents et de lire de façon expressive...

 

L'envie de progresser

Dans les apprentissages comme pour le comportement, l'enfant postule lui-même au passage du degré supérieur quand il se sent prêt et qu'il en a envie. Il s'inscrit la veille sur un calendrier d'épreuves qui circule dans la classe. S'il échoue, il travaille ses difficultés en exercices de remédiation. Il peut essayer autant de fois qu'il le souhaite, mais ne postule qu'à une ceinture par séance. « La crainte de perdre des points est remplacée par l'espoir de réussir. » Et des belles réussites, l'enseignant en a connu. Ainsi, Eliott arrivé chez lui non lecteur, englué dans une spirale de l'échec. L’envie de ceinture l'a tiré vers le haut, il s'est accroché et est sorti lecteur...

Maud, qui avait du mal à vaincre sa timidité, butait sur la lecture orale d'un texte, qui lui aurait permis de décrocher sa ceinture blanche. Un an après, elle est devenue ceinture bleue de lecture. Pour Rémi Castérès, le fait que chaque enfant se concentre sur une difficulté à sa portée est un élément central du dispositif. Chacun à son niveau, d'accord, « mais tout le groupe travaille sur un même objet; ce qui permet à la fois une individualisation et une progression collective», ajoute René Laffitte, militant institutionnel et spécialiste de Fernand Oury.

Et lorsqu'un enfant décroche toutes les ceintures vertes dans toutes les disciplines, la ceinture se matérialise vraiment, sous forme d'une étoffe. Il devient détenteur de « la ceinture verte de classe » après avoir répondu à trois questions devant ses camarades : l'as-tu fait exprès ? Qu'est-ce qui a été le plus difficile ? Qu'as-tu fait pour réussir ? « Trois questions auxquelles je tiens car elles montrent à ceux qui n'ont pas encore la ceinture qu'on ne progresse jamais par hasard et qu'il faut une volonté et une stratégie. » Et quelle fierté ensuite de porter sa ceinture! « Il y en a qui ne la quittent pas vingt-quatre heures durant », se réjouit l'enseignant.

Ce pédagogue ne se revendique d'aucune école, d'aucun courant. Il a librement adapté un pan de la pédagogie institutionnelle de Fernand Oury, un instituteur (1920-1998) qui a construit une des théories éducatives les plus élaborées en s'inspirant de Célestin Freinet et de sa propre expérience. «J'ai remarqué que sur un tatami travaillent ensemble des gens très différents. Il ne s'agit pas de faire n'importe quelle prise à n'importe qui, on risquerait de la casse. J'ai transposé ça à l'école, notamment dans les ceintures de comportement », rapporte Philippe Meirieu dans un livre qu'il consacre à ce pédagogue (Fernand Oury, y a-t-il une autre loi possible dans la classe ? PEMF, 2001).

Aujourd'hui très peu de classes fonctionnent intégralement sur la pédagogie institutionnelle, autre nom pour désigner les méthodes prônées par Fernand Oury.

En revanche, cette idéologie a nourri de nombreux militants de l'Ecole moderne. Et des enseignants isolés utilisent tout ou partie de ce dispositif. « Les ceintures d'apprentissage sont plus utilisées que les ceintures de comportement car ces dernières dérangent en octroyant à des élèves des droits différents, en créant une classe inégalitaire », déplore René Laffite (1).

Maryline Baumard

(1) René Laffitte, Mémento de pédagogie institutionnelle (Matrices. 1999). Site de Rémi Castérès : http://ecole.saint.didier.free.fr

Dans les apprentissages comme pour le comportement, l’enfant postule lui-même au passage du degré supérieur quand il se sent prêt et qu’il en a envie. Il s’inscrit la veille sur un calendrier d’épreuves qui circule dans la classe.

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jeudi 03 avril 2003