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École publique de Saint-Didier-sous-Riverie |
L'école des quatre langages |
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Josselyne Annino |
1. Pourquoi penser l’école autrement ? Traditionnellement, l’école s’entend comme le lieu où l’enfant doit apprendre à lire/écrire/compter. Dans cette perspective, les enseignants proposent différentes modalités de travail aux élèves dans le but de leur faire acquérir les connaissances souhaitées. Lorsque les élèves sont capables de restituer et/ou d’utiliser ces connaissances pour obtenir des résultats satisfaisants aux évaluations, on estime qu’ils ont réussi et qu’ils peuvent accéder à d’autres connaissances plus complexes. En revanche, lorsque les résultats qu’ils obtiennent sont trop éloignés de la norme attendue, on considère qu’ils sont en difficulté - si l’écart est raisonnable - , ou en échec - si l’écart est plus important. On leur prescrit alors de nouvelles modalités de travail en modifiant, selon les cas, la fréquence, la nature ou la complexité des activités, et en isolant toujours plus les capacités à développer et les approches à privilégier. Cette conception de l’école a pour conséquence de renforcer les antagonismes entre les élèves adaptés/inadaptés, actifs/passifs, lecteurs/non-lecteurs, etc. En effet, plus l’école consacre de temps à évaluer les acquis des élèves et plus elle compartimente les apprentissages, moins elle éduque. Dans les cas les plus extrêmes, on rencontre des élèves qui passent la totalité de leur journée à montrer ce qu’ils savent ou ne savent pas faire, à écouter ou non le maître parler, à jouer ou à s’agiter ; mais qui ne sont à aucun moment sollicités pour expliquer ce qu’ils ont compris ou non d’un discours, d’un travail ou d’une réalisation. Ce sont généralement ces mêmes élèves qui se trouvent mis dans l’injonction d’apprendre leurs leçons et de faire leur travail à la maison pour rattraper le retard pris en classe. Est-ce parce que les enseignants doutent de leurs capacités à transmettre un savoir et une culture qu’ils délèguent ainsi leurs missions aux familles, se détournent de ceux qui ont le plus besoin de leur professionnalisme ? A moins que ce ne soit au contraire les parents qui mésestiment les compétences des enseignants, et incitent ainsi ces derniers à chercher leur reconnaissance sociale à travers la satisfaction de revendications syndicales plutôt que dans l’innovation pédagogique… Le fait est que l’on constate aujourd’hui une tendance des enseignants à se positionner plus en tant censeur, que comme médiateurs ou personnes ressource dans la construction des savoirs. Heureusement, il existe aussi des contextes scolaires
plus favorables où l’école s’inscrit dans une conception
humaniste et reste un lieu de rencontres, d’expériences et
d’apprentissages. Dans ces écoles, les enseignants assument
leurs missions premières d’éducation et d’instruction et
ont le souci de penser leurs pratiques en fonction des besoins de tous
les élèves. Cependant, l’organisation du système
scolaire et la pression des familles, les rendent prisonniers d’une
approche mono-directionnelle de l’enseignement. |
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2. Qu’est-ce que l’école des quatre langages ? Pour Jacques Lévine l’école des quatre langages se distingue de l’école traditionnelle en refusant toute centration sur le lire-écrire-compter et en privilégiant la multiplicité des langages ou intelligences constitutives de l’humanité. Il oppose au fonctionnement mono-nutritionnel, principalement basé sur le langage oral abstrait, un fonctionnement multi-nutritionnel favorisant à valeurs égales : a. l’intelligence des relations humaines : s’interroger sur soi et sur ses propres conduites, réfléchir à nos relations, prendre en compte le point de vue de l’autre, se pencher sur les grands problèmes de la vie ; b. l’intelligence des situations concrètes : aptitudes à explorer des situations, à penser et à anticiper les problèmes, à les verbaliser et les résoudre ; c. l’intelligence des réalisations : productions orales ou écrites, plastiques, musicales ou techniques ; habiletés manuelles, ou motrices, des trouvailles ; d. et l’intelligence des talents ou centres d’intérêts personnels que caractérisent tout ce que l’enfant peut apporter en classe de ce qu’il a fait, appris en dehors de l’école. Ces quatre langages sont ceux des élèves comme du maître, l’enfant ne peut en effet s’autoriser à les exprimer que si le maître est prêt à les accueillir et peut les interpréter. Ce qui caractérise l’école des quatre langages, c’est aussi un autre rapport à la temporalité des apprentissages. Elle est fondée sur la recherche d’une croissance de l’enfant à long terme, sur le développement de ces intelligences et non sur la valorisation des performances immédiates dans l’acquisition de savoirs scolaires. D’après mes observations sur ce qui se passe à l’école de Saint-Didier-sous-Riverie et dans d’autres classes, il me semble que l’école des quatre langages est également un lieu qui offre un cadre de travail structurant et sécurisant où l’enfant ne se sent pas menacé par l’action ou le regard des autres. L’espace et le temps y sont organisés de façon à préserver un espace de liberté, d’exploration des lieux, situations et relations et d’expression qui permettent le développement personnel de chaque individu. Les élèves adhèrent aux activités de la classe, ils savent ce qui va se passer, comment ça va se passer et pourquoi. Ils peuvent se projeter sur la ou les journées à venir, envisager leur participation quotidienne et préparer leurs interventions en fonction de la place qu’ils veulent occuper au sein du groupe. Lorsqu’ils travaillent, ils sont impliqués dans la tâche, ils savent que les efforts fournis seront considérés autant que les résultats obtenus. La prise de paroles encouragée et organisée pour faciliter la circulation de la pensée. La communication orale fait l’objet d’une observation rigoureuse et critèriée qui permet aux enfants les plus volubiles d’avoir un souci de concision et de préserver les interventions des plus timides. Dans ces classes, les élèves co-dirigent dès la maternelle la classe avec le maître. Jacques Lévine aime évoquer l’image d’une classe orchestre, avec une unité de vue et des partitions individuelles, permettant à chacun d’apporter sa contribution au groupe et de s’enrichir avec lui. Il est également à noter, qu’à l’école des quatre langages la réussite des enfants ne repose pas uniquement sur la qualité de la relation entre le maître et ses élèves mais d’abord sur l’établissement de règles collectives et d’un fonctionnement coopératif qui favorisent le sentiment d’appartenance à une communauté. C’est une école ou les élèves comme les enseignants sont fiers d’aller, ou ils prennent chaque jour plaisir à se retrouver et à partager ensemble des activités exigeantes mais gratifiantes. 3. Qu’en est-il de la théorie des intelligences multiples de Howard Gardner ? Une idée centrale de la théorie des intelligences multiples est que chacune d'elles est autonome, indépendante des autres. Ce qui signifie qu'un individu peut avoir telle intelligence développée et telle autre faible. Howard Gardner a initialement repéré sept intelligences : L'intelligence musicale L'autonomie de cette intelligence est mise en évidence par le cas de certains enfants autistes capables de très bien jouer d'un instrument. Par ailleurs, certaines zones cérébrales, situées dans l'hémisphère droit, jouent un rôle important dans la perception et la production de la musique. L'intelligence kinesthésique C'est l'intelligence favorisant une utilisation précise de son corps pour effectuer tel ou tel geste. Elle est particulièrement présente chez des sportifs tels que les footballeurs ou les tennismen, ou chez des artistes tels que les danseurs, les comédiens et les mimes. L'intelligence logico-mathématique C'est ce que l'on appelle habituellement l'intelligence, le raisonnement logico-mathématique constituant la base des tests de QI. Elle est particulièrement présente chez les chercheurs scientifiques. Le cas des "idiots-savants", capables d'exploits en matière de calcul tout en étant fortement déficients dans d'autres domaines, démontre l'autonomie de cette intelligence. L'intelligence langagière Poètes et écrivains sont très doués dans cette intelligence. Une zone particulière du cerveau, appelée "l'aire de Broca" est le lieu de production des constructions grammaticales. Une personne présentant des lésions de cette zone éprouvera de grandes difficultés à former une phrase un peu complexe, alors que ses autres facultés mentales seront préservées. L'intelligence spatiale Cette intelligence est particulièrement présente chez des artistes tels que les sculpteurs et les peintres. C'est surtout l'hémisphère droit qui gouverne les processus spatiaux. Ainsi, des lésions des zones postérieures de l'hémisphère droit altèrent le sens de l'orientation. L'intelligence interpersonnelle C'est l'intelligence des personnes intuitives, qui leur permet d'être très sensibles aux différences d'humeur, de motivation et d'intention des autres. Le lobe frontal joue un rôle majeur dans cette compétence. L'intelligence intra personnelle Il s'agit de l'aptitude à la connaissance introspective de soi, la capacité d'analyse de ses émotions et sentiments, ce qui permet de mieux orienter son comportement. Là encore, les lobes frontaux sont très actifs dans cette intelligence. Des lésions de la partie inférieure des lobes frontaux provoquent souvent de l'irritabilité ou de l'euphorie, tandis que des lésions supérieures produisent plutôt de l'indifférence et de l'apathie. H. Gardner a récemment ajouté une huitième intelligence et émis l'hypothèse d'une neuvième. L'intelligence naturaliste Elle concerne la capacité de reconnaître et distinguer entre telle et telle plante, ou tel ou tel animal, par exemple, entre une tourterelle et un pigeon. Ainsi, Darwin possédait une remarquable intelligence naturaliste. L'intelligence existentielle C'est la capacité humaine de poser des questions sur des problèmes fondamentaux de l'existence, tels que "D'où venons-nous ? De quoi est constitué le monde ?" ou encore "Pourquoi mourons-nous ?" H. Gardner n'a cependant pas encore pris en compte cette intelligence en raison de l'absence actuelle de preuves concernant sa base neurologique. 4. Quelles différences entre l’école des quatre langages telle que la conçoit Jacques Lévine et les intelligences multiples proposées par Howard Gardner ? Jacques Lévine a pensé l’école des quatre langages à travers une approche psychanalytique. Il s’interroge sur la façon dont l’école contribue à la construction de l’identité cognitive et sociale de l’enfant. Gardner a lui privilégié une approche physiologique du développement cognitif. C’est en étudiant les lésions cérébrales qu’il a mis en évidence l’existence des intelligences multiples. Il est à noter que tous deux parviennent à des conclusions similaires : l’école privilégie certaines formes d’intelligence au détriment des autres. Ils prônent un développement pluri-directionnel et non hiérarchisé des intelligences. 5. Quels rapports existe-t-il entre l’école des quatre langages et la pédagogie coopérative de Célestin Freinet ? Il s’agit d’abord d’un rapport de proximité puisque les deux préconisent la diversité des activités, insistent sur l’importance de la solidarité et du partage au sein du groupe classe et ont le souci de ne pas hiérarchiser les intelligences. L’école des quatre langages a peut-être plus le souci de développer chez l’enfant l’ensemble des intelligences alors que les classes coopératives valorisent parfois les talents ou centres d’intérêts personnels de chacun, au risque de conférer à certains élèves un statut de spécialistes et de confiner les autres, qui n’ont pas d’atouts particuliers, dans un rôle moins gratifiant. 6. Qu’est-ce qui caractérise la démarche des enseignants à l’école des quatre langages ? Il semble que le rapport au monde que les enseignants entretiennent personnellement n’est pas indépendant de leur engagement dans l’école des quatre langages. Ils se reconnaissent autour de valeurs humanistes et accordent une importance particulière à la qualité des relations, au besoin de reconnaissance de chaque individu, à la solidarité et à la justice. Je m’interroge aujourd’hui sur l’influence que peut avoir le rapport au temps de ces enseignants dans leur démarche pédagogique. En effet, on ne peut considérer le développement de l’enfant comme une finalité de l’école qu’à condition de s’inscrire dans la durée, de considérer le passé et l’avenir de la personne autant que son présent, donc d’accueillir l’enfant et sa famille d’appartenance autant que l’adulte en devenir. Il semble que leur capacité à privilégier le développement global de l’enfant soit effectivement liée à leur propre engagement dans un projet à long terme, dans leur capacité à se remettre eux-mêmes en question et à poursuivre leur formation au-delà des compétences professionnelles déjà acquises. La conscience de sa propre trajectoire est un facteur déterminant dans la reconnaissance et l’acceptation de celle des élèves. À l’inverse, les enseignants pour lesquels le fait d’avoir obtenu le grade d’instituteur ou de professeur des écoles valide une fois pour toute leurs pratiques pédagogiques, considèrent les connaissance comme une fin en soi et s’attachent à leur tour à valider les performances des élèves et à catégoriser les "bons" et les "mauvais" élèves en fonction de leurs résultats dans les disciplines fondamentales. Ils entretiennent une réciprocité entre leur enseignement et les connaissances acquises par les élèves. L’attention et l’intérêt qu’ils portent aux évaluations sommatives confortent les élèves et leurs familles dans l’idée que les bons élèves sont ceux qui en savent le plus et non ceux qui progressent le plus. Quel intérêt il aurait-il alors, pour l’élève en difficulté, à fournir un effort conséquent si au bout du compte on méconnaît son mérite ? Dès lors, l’école devient avant tout le lieu où l’évaluation stigmatise les réussites et les difficultés : ceux qui arrivent avec un bagage intellectuel et culturel suffisant en sauront un peu plus à la sortie ; les autres quitteront l’école aussi démunis qu’à leur arrivée. Des attitudes qui favorisent le développement de l’enfant Lorsque l’enseignant pense en terme de développement de l’enfant et inscrit son enseignement dans la durée, il organise l’espace scolaire comme lieu d’exploration et de relations. L’enfant se trouve alors confronté à un univers scolaire accueillant et varié. Les caractéristiques de l’environnement physique (implantation géographique de l’école, organisation spatiale de l’école et de la classe) sont exploitées à des fins sociales (se positionner et interagir). Dans cette logique, le cadre pré-établi par l’enseignant pour organiser les relations et le travail est complexe, parfois mystérieux, voire parsemé d’obstacles. Il invite à la rencontre et à l’action mais garantit aussi les territoires privés. La curiosité de l’enfant, son sens de l’observation et sa capacité à s’inscrire de façon dynamique dans l’espace collectif sont alors valorisés. Bref, la scolarité est ici conçue comme une quête initiatique dont le but ultime est de conquérir le savoir. La répartition des rôles et le scénario sont clairs, du moins pour les acteurs ! L’enseignant est le maître du jeu et il doit, à ce titre, garantir l’égalité des chances et l’équité des situations. Il n’a pas à faire alliance ou contre-alliance avec qui que ce soit. Les élèves, quel que soit leur âge et leur personnalité, jouent leur propre rôle et ont l’initiative de leurs choix (participer, se mettre en retrait) et sont responsabilisés dans leurs performances (évaluations formatrices/contrats de travail/ outils d’auto-régulation). Ils savent que plus ils feront alliance entre eux et seront solidaires face aux obstacles, plus ils progresseront dans leurs parcours. Quand la classe et l’école sont ainsi sécurisées par le cadre établi, les étrangers ne constituent plus une menace. Les familles, les intervenants extérieurs ou les visiteurs de passage trouvent rapidement leur place et deviennent autant de ressources. Se défier du leurre de la réussite En revanche, lorsque l’enseignant est dans l’attente de résultats immédiats et se fixe comme ultime objectif la réussite scolaire de tous ses élèves, il crée un sentiment d’insécurité peu favorable à l’exploration et à la prise de risque. Combien d’élèves peuvent en effet, s’engager dans une tâche avec l’assurance de leur réussite ? L’attentisme devient alors a règle. Les relations élèves/maître se développent au détriment des interactions entre pairs. L’espace de travail privilégié se réduit à celui d’une page, d’une feuille annotée. L’enfant comprend qu’on attend de lui qu’il reproduise à l’identique, dans cet espace et avec soin, ce que d’autres élèves ont déjà réussi ou échoué avant lui. La réussite scolaire dépend ici de la capacité de l’élève à effectuer un repli stratégique dans l’ici et le maintenant, sur un objet d’étude isolé et décontextualisé. Le "bon" élève sera conforme ou ne saura pas. Dans cette conception, que l’on peut qualifier d’alimentaire, le rôle de l’enseignant est de bien nourrir ses élèves. Les élèves n’ont plus alors qu’à digérer leur nourriture spirituelle et à la restituer convenablement lors des diverses évaluations. L’enseignant bienveillant peut choisir les mets avec attention, avoir le souci de varier les menus et même de les personnaliser en fonction des besoins de l’enfant. Il n’en demeure pas moins que l’enfant anorexique comme l’enfant boulimique continueront de mettre en danger leur développement. L’enseignant n’a alors comme seul recours, que l’appel aux spécialistes ou la mise en accusation des familles… 7. Comment considérer ce qui se passe à l’école de Saint-Didier-sous-Riverie ? Entre l’école de Saint-Didier-sous-Riverie et Jacques Lévine c’est d’abord l’histoire d’une rencontre. Jacques Lévine a conçu l’école des quatre langages sans imaginer sa mise en œuvre effective. L’équipe de St Didier a oeuvré à la réalisation d’objectifs éducatifs sans se référer à une théorie spécifique. C’est au travers de leur participation commune à des groupes de réflexion, et des observations que Jacques Lévine a effectué dans les classes que le lien entre l’école de Saint-Didier et l’école des quatre langages c’est construit, permettant aujourd’hui à Jacques Lévine de reconnaître que ce qui se passe ici relève bien de l’idée qu’il se fait de l’école des quatre langages. L’école n’est pas prise ici comme modèle. Il n’existe d’ailleurs à ce jour aucune formalisation de l’école des quatre langages. Ce qui s’y passe répond à un contexte particulier et ne pourrait en aucun cas être reproduit à l’identique, par d’autre, ailleurs. C’est une référence, dans le sens où une équipe d’enseignants et des élèves font chaque jour la preuve que l’école des quatre langages n’est pas qu’une utopie et que ce qui a pu advenir ici peut se réaliser ailleurs. 8. Quelles sont les conditions requises pour construire une école des quatre langages ?
À l’école l’enfant va découvrir un nouvel univers, avec des codes, des règles et des modes de communication plus ou moins différents de ceux qu’il a déjà expérimentés dans son environnement familial. Pour se sentir en sécurité, l’enfant doit d’abord s’assurer que ses parents ont confiance en l’école et le confient sans crainte aux enseignants. Il doit se sentir personnellement accueilli par les adultes et accompagné avec bienveillance dans sa rencontre avec les autres enfants. Il lui faut également investir positivement les lieux, en explorer les différentes dimension en présence d’un aîné, repérer les espaces collectifs réglementés et les refuges en cas de besoin. Il doit pouvoir se construire un territoire personnel et laisser une trace de sa présence en déposant quelque chose de lui dans un bureau ou un casier personnel, par affichages, etc. L’enfant a enfin besoin de faire l’expérience de la continuité entre sa présence à l’école et sa vie à l’extérieur, ne pas perdre le pouvoir d’agir ou de communiquer du fait d’un trop grand écart de langages ou d’exigences entre les deux milieux.
Il est essentiel pour le développement de l’enfant que celui-ci puisse se voir du point de vue de l’autre dans un espace de délibération intérieur. C’est le problème essentiel de la petite section. Certains enfants sont envahis par leurs émotions et ne peuvent pas se mettre à distance de la situation pour s’interroger. Ils n’ont pas développé un langage oral interne qui leur permettrait de penser les situations et de se contrôler, de construire un modèle de pensée nouveau qui soit compatible avec celui de leur famille. Ils appréhendent l’école uniquement sur le mode émotionnel et réagissent de façon impulsive et parfois violente. Pour aborder sereinement un environnement nouveau, l’enfant doit se sentir suffisamment accompagné par la présence symbolique de ses parents proches (famille interne) pour pouvoir s’en séparer physiquement et explorer l’inconnu sans crainte de se perdre. Lorsque l’enfant rend compte à sa famille interne de ce qu’il perçoit, ressent ou comprend il maintient le lien avec elle, même en son absence.
L’enfant commence à se construire à partir des rêveries parentales pré et post natale, et des hypothèses qui sont alors faites sur ce qu’il pourra développer. L’enfant devient fort de ce "moi" qu’on lui attribue. Le travail de l’enseignant rejoint la fonction parentale chaque fois qu’il s’agit de faire vivre l’expérience de la réussite à l’enfant, de lui attribuer des compétences et des qualités. Pour apprendre, l’enfant doit avoir développé cette fonction d’auto-parentalisation, c’est-à-dire être capable d’intérioriser la présence de sa mère et de se faire commander par elle, même lorsque celle-ci est physiquement absente (sphère de délibération interne).
C’est le sens du sort de l’espère humaine qui est ici en cause. L’enfant doit se positionner par rapport à la marche du monde, par la contribution singulière qu’il peut apporter à la dimension universelle de l’humanité. Il s’agit d’introduire chez lui l’idée qu’il appartient à une communauté plus vaste que celle qu’il perçoit au quotidien, et que les problèmes qu’il rencontre ne trouveront pas forcément une réponse dans l’ici ou le maintenant ni dans des solutions individuelles. Il faut lui donner l’exemple d’une exploration plus distanciée des problèmes en se référant à notre héritage culturel, d’autres ont vécu des situations semblables avant nous et nous pouvons profiter de leurs expériences ; aux promesses de l’avenir puisque nous sommes capables de penser, de rêver, et d’inventer et enfin à l’existence d’une coopération qui nous rendra plus forts et plus intelligents ensemble que dans l’isolement. 9. L’école des quatre langages n’est-elle pas "psychologisante" ? Qu’en est-il de sa valeur instructive ? Le pari de la croissance dans la diversité des intelligences vise justement à donner du sens aux objets d’apprentissage, à permettre aux enfants de les inscrire dans l’histoire de l’humanité, dans leur histoire. Les mots, les nombres sont autant de facteurs d’humanité puisque qu’ils permettent à l’homme de penser et d’organiser le monde. Étudier la grammaire, c’est comprendre comment une famille se construit. Dans l’école des quatre langages, les savoirs scolaires ne sont pas une fin en soi. Ils sont au cœur même des activités, comme moyen de développer les intelligences et à terme de produire des savoirs nouveaux. 10. Quand l’enfant ne produit pas de réalisations satisfaisantes par rapport à lui-même, aux autres, à sa famille, que peut-on faire en classe pour que ça change ? Il faut s’inscrire dans la durée, continuer à exiger des réalisations, non dans la perspective de contraindre l’enfant à une production normée, mais pour l’inviter à exercer les quatre langages et permettre qu’un jour son travail devienne satisfaisant. L’enseignant doit être le garant de l’avenir de l’enfant. C’est parce qu’il ne présume pas de l’avenir au regard du présent que l’enfant pourra continuer de s’essayer et de progresser. 11. Quelques questions auxquelles il nous faudra répondre…
- Transmettre à l’enfant le droit de s’interroger sur la vie ? - Permettre à l’enfant de faire connaissance avec les secrets de la vie, avec ce qui est vivant dans la vie, avec la richesse de la vie intérieure, extérieure ? - Inviter l’enfant à développer son pouvoir d’imaginer, d’inventer, changer la vie ? - Faire de l’école un lieu d’exploration, qui va permettre à l’enfant de découvrir et comprendre la vie ? - Comment découvrir les possibilités de son corps et de son intelligence ? - Quand vous arrivez à l’école, qu’est-ce que vous attendez d’une journée de travail ? - Dans quel état d’esprit venez-vous à l’école ? Josselyne Annino |
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