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École publique de Saint-Didier-sous-Riverie |
Jdi |
ReportageL’école de la parole
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À l'école de Saint-Didier-sous-Riverie, les 68 élèves sont répartis en trois classes, du cycle 1 au cycle 3. Vecteur de transmission des apprentissages et tremplin pour la prise d'autonomie des enfants, la parole des enseignants y tient une place déterminante. |
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Rémi
frappe deux fois dans ses mains : les conversations qui emplissaient la salle
s'arrêtent immédiatement. Il frappe trois fois : chaque élève se tourne
vers lui, attentif et à son écoute. Tels les coups qui précèdent le lever de
rideau au théâtre, les claquements de mains de Rémi Castérès annoncent le
début de la leçon. Pour cet enseignant de cycle 3, directeur d'une école de
campagne située sur les Monts du Lyonnais, exiger la concentration des
élèves est un préalable essentiel à toute séance de classe. "Écoutez
bien et ne m'interrompez pas. Que personne ne me dise que je vais trop vite, prévient-il.
En revanche, vous pouvez noter quelques mots clés sur vos cahiers."
Clairs, précis, soufflés par une voix assurée, les mots de l'adulte sont
accueillis par les enfants avec une attention étonnante. |
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La voix de la transmission |
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Ainsi, il suffit de passer quelques instants dans cette classe pour saisir l'importance toute particulière qu'y revêt la parole de l'enseignant. Les élèves de CE2, CM1 et CM2 écoutent maintenant l'histoire de la construction des cathédrales au Moyen Âge. Ils prennent des notes, tenus en haleine par le récit de Rémi : "Les rues des villes étaient creusées au milieu, pour pouvoir évacuer tous les déchets, des eaux usées... jusqu'aux crottes !" Les rires fusent. "Raconter comment les hommes devaient se débrouiller pour résoudre des problèmes très concrets permet de sensibiliser les élèves, explique Rémi. Le suspense constitue aussi un bon ingrédient du cours : si je raconte une guerre, je ne dévoilerai qu'à la fin le nom du vainqueur !" Si aucune parole n'est laissée au hasard pour susciter l'intérêt des élèves et leur transmettre les contenus pédagogiques, aucun silence n'est fortuit. En
effet, après avoir répondu aux questions des élèves, Rémi leur demande
d'écrire dans leur cahier ce qu'ils en ont retenu, sous la forme d'un petit
texte pour les CM, et quelques phrases pour les CE2. Dix minutes de travail en
autonomie durant lesquelles l'enseignant restera "bouche cousue".
Seuls de quelques mots échangés en chuchotant avec les enfants qui lui
demandent de l'aide viendront rompre ce silence. "Après ce type de
leçon, j'évite de parler. Car c'est au cœur de ce travail en autonomie que
les élèves trouvent le temps de construire leur pensée." Déborah
lit ce qu'elle a écrit : "Au Moyen Âge, les villes étaient très
serrées." Rémi acquiesce et invite aussitôt Marine à lire sa phrase
: "L'Église finançait la construction des cathédrales." Au
terme de ce dialogue rythmé, il fait recopier les phrases clés dans le
classeur d'histoire de ses élèves de CE2. Et l'important, c'est qu'il a
écouté toutes les propositions, bonnes ou moins bonnes, avec un égal
intérêt. |
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"Concentré" de paroles |
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"Les
élèves se sentent grands lorsqu'ils travaillent seuls. C'est pour grandir
qu'ils veulent apprendre, et non pour me faire plaisir ! Je ne tente pas de leur
déverser du savoir, ou de les sanctionner s'ils n'y arrivent pas, mais plutôt
de les faire accéder à un savoir vivant", confie-t-il. Pour les
élèves de CM1 et CM2, la fierté d'apprendre est encore plus visible. Océane
vient de mettre le point final à son texte : une dizaine de lignes très bien
rédigées, qu'elle "a aimé écrire", "qu'elle trouve
bien", et qu'elle souhaite lire à haute voix devant ses camarades. Ce
qui lui vaudra les applaudissements de toute la classe ! |
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"Les
élèves ont vraiment réalisé des textes de qualité, avouera Rémi après
la séance, et si j'avais parlé pendant qu'ils travaillaient en autonomie,
je suis certain que la qualité n'aurait pas été aussi bonne." Moins
on parle, plus la parole a de valeur... et inversement. C'est la conviction de
Rémi, qui a décidé très tôt dans sa carrière qu'il ne serait pas un
enseignant qui dit "chut" à longueur de journée à ses élèves ; "car,
dans ce cas, la parole ne compte plus". Il n'est d'ailleurs pas le seul
à avoir fait ce choix. Autour de lui, Paul Psaltopoulos, l'enseignant de cycle
1 et Corinne Famelart, en cycle 2, "pèsent" chaque jour leurs mots
avec les autres élèves de l'école. Si bien que la parole des maîtres
constitue ici un véritable cadre, une sorte de colonne vertébrale dans la
pédagogie, de la petite section au CM2. "La qualité des consignes est
très importante, souligne Corinne. Elles doivent être précises et
claires, afin que les élèves sachent exactement ce qu'ils ont à faire. En
général, je les écris chez moi à l'avance, puis je les reprends à tête
reposée en coupant tous les mots inutiles." Une technique d'épuration
qui porte ses fruits : dès la petite section les élèves cultivent l'écoute
attentive et ne font pas répéter les consignes. Et c'est donc tout
naturellement qu'ils évitent à leur tour les paroles superflues. |
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Sans hausser le ton |
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Ainsi, dans la classe de cycle 2, quelques enfants sont rassemblés autour de Corinne pour une séance autour de l'alimentation humaine. Autour d'eux, des petits groupes travaillent de façon autonome, en chuchotant pour ne pas gêner le reste des élèves. Marek, Maxime, Anaïs et les autres participent à un débat, guidé par l'enseignante. "Il faut manger équilibré", dit l'un ; "On doit manger de tout", renchérit un deuxième ; "On se lave les dents plusieurs fois par jour", déclare un troisième. Les doigts se lèvent, personne ne coupe la parole, certains semblent même se retenir de "parler pour ne rien dire"... Il règne dans cette classe une ambiance de respect mutuel, où le silence s'installe sans avoir besoin d'être comblé, et où chacun, y compris l'enseignante, trouve sa place sans hausser le ton. "Certains enseignants se sentent coupables lorsqu'ils parlent peu. Ils pensent que c'est un signe de fainéantise, remarque Rémi, qui est également formateur en IUFM. Mais au contraire, éviter les paroles superflues permet d'être plus disponible pour observer les élèves." Dans
la classe de cycle 3, la parole est maintenant aux élèves. Océane est
installée à une petite table, face à ses camarades. "Quel est le
titre du livre que tu vas nous présenter ?", lui demande Gilles. "Vendredi
ou la vie sauvage", annonce Océane. "Résume le premier
chapitre en essayant de nous donner envie de lire la suite", enchaîne
le garçon, tandis que sa camarade poursuit sa présentation. "Chaque
jour, nous avons une séance de présentation d'un livre. C'est l'occasion pour
un élève de faire partager aux autres son goût de la lecture, à travers un
ouvrage qu'il a vraiment aimé. Une séance de 15 minutes, durant laquelle je ne
dis pas un mot", avoue fièrement Rémi. |
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Un cadre solide |
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Mais celui-ci ne restera pas muet, pour autant, jusqu'à la fin de la journée ! C'est par une séance de théâtre que se terminera ce jeudi. Une discipline où la parole est très importante. "Je veille à ne pas donner d'avis personnel pour la mise en scène, mais à stimuler l'imagination des élèves. Je m'efforce donc de rester neutre, tout en dirigeant la séance." En effet, qu'elle soit magistrale, partagée avec les enfants, ou qu'elle disparaisse complètement pour permettre le travail en autonomie, la parole de l'enseignant constitue un cadre solide et impartial sur lequel les élèves s'appuient pour tracer leur propre chemin. Paul, dont les élèves de toute petite et petite section font doucement connaissance avec l'école, met déjà sa parole au service de ce difficile apprentissage de l'autonomie. Un travail d'équipe que Rémi, Paul et Corinne voient récompensé par les résultats de leurs élèves devenus collégiens : "Ils ne sont pas forcément meilleurs que les autres, mais ils sont plus impliqués, prennent davantage de responsabilité dans la vie de classe." Une belle satisfaction pour ces trois enseignants qui ont pour ambition de "préparer leurs élèves, non pas seulement à passer dans la classe supérieure, mais aussi à devenir des adultes !" Agnès
Ceccaldi |
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