École publique de Saint-Didier-sous-Riverie

Philosophie

au cycle 3

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J’ai été contacté par courrier, fin 1997, pour participer à une réunion de présentation des ateliers philo — ma classe avait la réputation de permettre aux élèves de s’exprimer. À la lecture du document, je fus frappé par deux choses :

• les questions posées. “Qu’est-ce qu’une grande personne ?” “Pourquoi a-t-on envie de se moquer ?” “Quelle est la place d’un enfant dans une famille ?” J’eus tout de suite envie de poser ces questions à mes élèves. Je me dis qu’ils auraient de la chance de pouvoir réfléchir à cela ensemble, avec le sérieux du cadre scolaire ;

• le silence demandé à l’enseignant. Le silence de l’enseignant, c’est si rare…Toute ma scolarité, j’ai entendu maîtres et professeurs parler continuellement ; dans les classes où je me rends comme maître-formateur, j’entends l’adulte qui parle, qui répète, qui commente à saturation. Enfin, un dispositif requérait explicitement le silence de l’enseignant et laissait toute sa place à la parole des enfants !

Ce silence est ce qui rend beaucoup d’enseignants très réticents à l’égard des ateliers philo. D’abord, je crois, parce que cela ne correspond pas à la place qu’ils s’attribuent ordinairement dans la classe. Ensuite, parce qu’ils s’imaginent que les enfants ne peuvent communiquer que par leur intermédiaire — ils répètent et reformulent tout ce que disent les enfants qui, de ce fait, n’ont aucun effort à fournir pour s’exprimer correctement. Encore, parce qu’ils craignent que le débat dérape sur des conflits personnels ou idéologiques, particulièrement dans les quartiers où l’islam est influent. Enfin, parce qu’ils ont peur que des “énormités” soit dites, que des informations fausses soient véhiculées. Dans tous les cas, je crois qu’il s’agit de la peur de perdre le contrôle de la situation.

Pour ma part, je suis très satisfait quand ma classe tourne toute seule, quand je n’ai pas à intervenir. Je suis le garant du cadre dans lequel les élèves travaillent. Les nouveaux programmes insistent sur l’importance des débats dans l’acquisition des savoirs ; cela ne peut se faire qu’en acceptant de se mettre en retrait autant que nécessaire.

Je ne répète jamais ce que disent les enfants. Le résultat est qu’ils communiquent très bien entre eux.

Pendant les ateliers philo, je donne la parole aux enfants en suivant une ligne imaginaire qui fait le tour de la classe. Cela permet à chacun de s’exprimer s’il le souhaite, de se taire, et cela évite les polémiques parce que cela empêche deux enfants de se répondre du tac au tac. Et quand il y a des conflits entre enfants – c’est une situation normale – il y a une autre instance pour les régler, c’est le Conseil de coopérative ; d’ailleurs les nouveaux programmes prévoient une demi-heure de débat réglé par semaine pour gérer la vie collective.

Enfin, si des propos tenus sont erronés… je me garde d’intervenir ! Je crois que les ateliers philo ne sont pas le temps pendant lequel on doive apporter des informations sur la laïcité, sur le racisme, sur les religions. Il y a les leçons d’histoire, de sciences pour cela. Pourquoi se précipiter ? Une leçon bien préparée, bien documentée, aura un autre impact que des propos péremptoires.

 

La semaine qui suit l’atelier philo, les élèves se réunissent dans la pièce où se trouve le matériel vidéo. Ils ne sont pas obligés d’assister à la séance ; parfois, certains s’abstiennent sans que je leur demande leurs raisons.

Les élèves regardent l’enregistrement. Pendant ce temps, j’écris sur une grande feuille les idées essentielles. Si une idée est répétée, je la souligne, puis je l’encadre progressivement, si nécessaire, pour manifester que tout propos est pris en compte. J’essaie d’organiser la feuille pour que les idées similaires soient rapprochées (dans l’exemple ci-dessous, énumération des situations, explications allant dans un sens ou dans l’autre). Je m’autorise à changer des mots pour condenser des idées, par exemple en utilisant les mots “physiques” et “intellectuels”.

Voici un exemple de relevé :

Pourquoi prend-on des risques ?

• en jouant au loup : pour délivrer celui qui est touché

• pour savoir lire

• pour sauter loin

• pour parler en public

• pour apprendre

       – gym

       – vélo

       – roller

• pour progresser

• dans les jeux de société

• pour faire

• pour marcher

• pour avancer dans la vie

• pour réussir

• pour grandir

• pour imposer son autorité

C’est progresser.

On est attiré par les risques ; ça dépend des caractères.

On prend des risques sans s’en rendre compte.

On prend toujours des risques.

Risques

• physiques

• intellectuels

Quand on fait, on n’a plus peur.

 

On ne prend pas de risques :

• pour ne pas se tromper

• pour qu’on ne nous demande pas d’en faire plus.

• en ouvrant un paquet de mouchoirs

• parce qu’on a peur

• pour ne pas se faire crier dessus

Je change de couleur pour tracer un trait rompu entre “On prend toujours des risques” et “On ne prend pas de risques” et je demande aux élèves de relire l’affiche. S’ils ne comprennent pas certains des termes que j’ai utilisés, je leur explique — sans commentaires sur le fond.

Quand tous ont fini de lire, une deuxième discussion moins ritualisée que celle de la semaine précédente s’engage. Je distribue alors la parole dans l’ordre des mains levées.

En général, la discussion commence par des demandes d’explications sur des propos revus. Certains reviennent sur les désaccords qu’ils avaient exprimés et persistent, d’autres annoncent qu’ils ont changé d’avis ou nuancent leurs idées.

Il faut un temps pour que d’autres voies commencent à être explorées. Je donne un exemple. À la question “Qu’est-ce qu’un bon élève ?”, chaque enfant avait énuméré ses caractéristiques du bon élève. À la fin de la seconde séance, ils se sont interrogés pour savoir si chacune de ces caractéristiques permettait vraiment de distinguer un bon élève, ou si elle ne pourrait pas aussi s’appliquer à un élève quelconque, voire à un mauvais élève. Arriver à ce niveau de réflexion pour des enfants de l’école primaire me satisfait et je n’éprouve pas de désir d’aller plus loin dans ce domaine. Si d’autres expériences montrent que c’est possible, je saurai en faire profiter mes élèves…

Un dernier point : il est possible qu’il n’y ait pas de second débat après avoir revu l’enregistrement. Cela a été le cas pour la question “Pourquoi prend-on des risques ?” Je ne m’en offusque pas. Les élèves ont le droit de ne pas philosopher…

Rémi Castérès

 

à lire aussi

Philosophie au cycle 1 et au cycle 2

Pédagogie du débat

 


Discussion


Je souhaiterais avoir plus de renseignements sur ces ateliers (surtout des exemples de sujets de réflexion). J'ai moi-même un CM1CM2 (21 élèves) dans un petit village des Côtes d'Armor.

Sandrine M.

(10 décembre 2003)


Voici d'autres questions possibles :

A quoi sert la liberté ?

A quoi sert la politesse ?

Apprendre et comprendre, est-ce pareil ?

Comment construire la paix ?

Comment décider de ce qui est juste ?

Comment faire pour être heureux ?

Comment peut-on bien vivre avec les autres ?

Est-ce que les garçons et les filles doivent avoir les même droits ?

Est-ce que tous les gens peuvent être d’accord ?

Est-ce que tous les gens sont pareils ?

Existe-t-il quelqu'un qui soit bête ?

Faut-il être fier de soi ?

Grandir, c’est quoi ?

La violence peut-elle avoir de bonnes raisons ?

La violence, qu’est-ce que c’est ?

Le bonheur, c’est quoi ?

Le courage, qu’est-ce que c’est ?

Le malheur, c’est quoi ?

Les hommes sont-ils tous égaux ?

Peut-il être utile de mentir ?

Peut-on avoir confiance ?

Peut-on avoir, en même temps, plusieurs vrais amis ?

Peut-on donner sans recevoir ?

Peut-on recevoir sans donner ?

Peut-on ressentir la souffrance des autres ?

Peut-on se mettre à la place de quelqu’un d’autre ?

Pourquoi arrive-t-il que des gens aient honte ?

Pourquoi dit-on parfois : “ C’est beau ! ” ?

Pourquoi faut-il respecter la loi ?

Pourquoi faut-il travailler ?

Pourquoi mourrons-nous ?

Pourquoi n’a-t-on pas les mêmes pensées ?

Pourquoi sommes-nous nés ?

Pourquoi y a-t-il des gens qui divorcent ?

Pourquoi y a-t-il des gens qui insultent les autres ?

Pourquoi y a-t-il des gens racistes ?

Pourquoi y a-t-il des pauvres et des riches ?

Pourquoi y a-t-il des personnes qui souffrent ?

Qu’est-ce que ça veut dire, faire semblant ?

Qu’est-ce que la solitude ?

Quand a-t-on le droit de désobéir ?

Quand les gens cessent-ils d’apprendre ?

Quelle est la différence entre l'animal et l'homme ?

Quelle est la place d'un enfant dans une famille ?

Qu'est-ce qu’il faut faire pour respecter les autres ?

Qu'est-ce qui est important dans la vie ?

Qu'est-ce qui est injuste ?

Qu'est-ce qui provoque la violence ?

Qu'est-ce qu'une grande personne ?

Y a-t-il différentes sortes de souffrances ?

R.C.

Bien que je ne reformule pas les propos des élèves, je leur demande toutefois de dire en français ce qu'ils ont à dire (en attendant d'enregistrer les débats, ce que je ferai l'an prochain). En effet, je ne parle pas le créole mais je le comprends peu ou prou.  

En "Quoi de neuf ?",  je laisse les élèves s'exprimer en français, mais dans "ce moment philosophique", faut-il les laisser s'exprimer dans leur langue première comme le préconise l'inspecteur de circonscription ? A mon sens, il faut aussi habituer les élèves à parler voire à réfléchir en français, mais je conçois qu'il faudrait envisager les différents possibilités.

L'an prochain, j'aurai un public composé entre autres élèves de Mahorais, la configuration sera plus compliquée, si les Créoles parlent en créole et les Mahorais en shi-mahorais ou en shi-boni.

Maéléane

La Réunion

(6 juillet 2005)


Je pense au contraire que, l’an prochain, la situation sera pour vous plus facile à gérer. Pour que les enfants aient le sentiment d’appartenir à une communauté de pensée, encore faudra-t-il qu’ils se comprennent les uns les autres. La langue véhiculaire ne pourra alors être que le français…

R.C.

 

À votre avis est-il envisageable de mélanger des CE1 avec des CM2 pendant les ateliers philo?

Arielle V.
Seine-et-Marne

(27 septembre 2005)


Cette année, dans mon école, les ateliers philo se font en même temps au cycle 2 et au cycle 3, ce qui permet aux CE1 de choisir leur atelier.

Pour la première séance, ce mois de septembre, l'atelier du cycle 3 a eu un succès de curiosité certain puisque tous les CE1 sont venus. La question était : "Qu'est-ce qui est vraiment important dans la vie ?"

Les réponses des CE1 tournaient autour d'idées comme : ce qui est important, c'est de bien manger, de boire, de dormir...

Des CM2 leur ont objecté que la question n'était pas : "Qu'est-ce qui est indispensable à la vie ?" mais signifiait : "Qu'est-ce que l'on fait de sa vie ?" Cela n'a pas été compris par les CE1 qui ont poursuivi l'énumération des conditions indispensables à la vie. Il y avait ainsi deux discussions parallèles.

C'est l'écueil que je perçois avec un mélange CE1-CM2, avec des risques d'agacement pour les plus âgés et de découragement pour les plus jeunes.

R.C.

Je suis très séduite par les ateliers philosophiques et la manière dont vous les mettez en place dans votre classe. Mais il y a deux questions que j'aimerais vous poser :

- lors de la première séance, les élèves donnent leur point de vue à tour de rôle ("en suivant une ligne imaginaire qui fait le tour de la classe"). Mais alors quand échangent-ils leurs idées ?

- j'aimerais faire intervenir l'écrit dans ces ateliers. Je pensais donc, une fois la question proposée, de faire écrire sur une feuille par chaque élève son avis et d'y retourner à la fin de la deuxième séance pour écrire une évolution de son idée. Qu'en pensez-vous ?

Virginie S.

(2 aout 2006)


C’est lors de tous les ateliers que les élèves s’expriment en suivant l’ordre “du serpent”, pas seulement la première fois. Ce qui m’étonne, c’est que vous sembliez penser que cela entrave l’échange des idées. Tout au contraire ! Je n’avais pas mis cela en place au début et certains débats dégénéraient en partie de pingpong verbal, deux ou trois enfants essayant de dominer leur(s) adversaire(s). Faire un tour complet de la classe, chacun ayant le droit de se taire ou de s’exprimer sans être interrompu, permet au contraire de se centrer davantage sur les idées. C’est une évidence : on ne répond pas de la même façon à quelqu'un du tac au tac ou après quelques minutes ; une grande partie de l’agressivité est retombée et peut-être a-t-on même eu le temps de changer d’avis.

Au sujet de l’écrit, je pense que cela dépend de votre intention.

• S’il s’agit de faire écrire les élèves parce qu’ils sont aussi à l’école pour écrire, je ne crois pas que l’atelier philo soit le moment le plus approprié.

• S’il s’agit de leur permettre d’écrire parce que cela favorise la pensée, alors oui.
Pour ma part, voici comment je procède. Quelques minutes avant le débat, je demande aux élèves de prendre leur cahier d’essais et de réfléchir silencieusement à la question écrite au tableau. « Vous avez le droit d’utiliser votre cahier. N’essayez pas d’écrire ce que vous avez l’intention de dire, vous n’en aurez pas le temps. Notez seulement des mots clés pour vous souvenir tout à l’heure de vos idées. » (Il y a eu un apprentissage préalable pour repérer et utiliser les mots clés.) Pendant la discussion, certains utilisent encore l’écrit de cette façon.

Essayez différentes formules, tenez-nous au courant !

R.C.

J'ai atterri sur votre site par un lien du site agsas. Dans votre 
description des ateliers philo, vous dites "ne jamais répéter ce que disent les enfants". Pourtant votre page regorge de relevés et d'extraits vidéo. Je trouve drôle (bizarre) de mettre en ligne une vidéo d'un Quoi de neuf (Le quoi de neuf de ma classe est régi par la loi du secret). En avez-vous parlé avec les enfants ? Je suis curieuse de connaitre votre point de vue.

Agnès L.

(3 décembre 2006)

Votre curiosité est tout à fait justifiée. Les élèves étaient évidemment au courant que le Quoi de neuf serait diffusé sur le site de l’école (c’est la seule fois que je l’ai filmé !) et ils étaient unanimement d’accord.

Il y a un monde entre répéter ce que disent les élèves et prendre des notes sur le contenu qui est dit. Dans un cas, l’enseignant impose sa présence et sa parole, comme si celle des enfants n’avait pas suffisamment de valeur. Dans l’autre, il permet aux enfants de prendre du recul sur leur pensée.

R.C.

 

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dimanche 03 décembre 2006